SOCIÉTÉ I ÉGALITÉ DES CHANCES.


P A R    P E G G Y   V .   -   3 0 . 0 1 . 2 0 2 3

Si je vous dis "égalité des chances", tout est possible à qui le décide.
Si je vous dis "égalité des chances", tout est possible à qui le décide.

 

L'avenir d'un enfant serait tout tracé, c'est simple, cela se jouerait au mérite : travaille à l'école, tu iras loin.

 

Des diplômes, un confort, une bonne situation. Néglige les études, tu finiras à l'usine !

Le principe même de la méritocratie. Des notes sur un bulletin, voilà ce qui permettrait d'estimer la valeur et le potentiel d'un élève. Aussi simple que cela ?

 

Voici le témoignage d'un jeune de 19 ans, son parcours, ses galères, et sa volonté, à toute épreuve. 

(c) pexels.com
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Je m’appelle Killian, j’ai 19 ans, et dès l’entrée à l’école, je ne me suis jamais senti très à l’aise, dans ce système. Maternelle, je n’ai qu’une hâte, apprendre à lire et écrire. Je formule déjà bien mes phrases, et parfois j’étonne mes parents avec mes réflexions. Rien n’échappe à mon attention, sans cesse sur le « qui vive ».

 

Tout petit, je ne tiens pas en place, il faut m’occuper sans cesse. Si tu espères me coller devant un dessin animé pour avoir la paix, tu rêves ! Moi, je m’ennuie très vite ! Il faut me donner du « travail à faire ».

 

Le soir, arrive le pire moment, celui du coucher. Rien que d’évoquer ce mot, j’appréhende. Car, j’ai de la peine à m’endormir, ''mon ordinateur'' ne veut pas se mettre en veille, j’aimerais tellement qu’il suffise d’appuyer sur un bouton  pour ''fermer le système'' !

 

C’est ce que je me tue à dire à mes parents ! Mon cerveau ne veut pas s’éteindre !

EN DÉCALAGE 


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JE M'ENNUIE ! 

L’ordinateur, j’y passe déjà beaucoup de temps, à jouer à "Adibou". J’ai alors 3 ans. C’est mon meilleur ami ! Car, niveau copains, c’est pas tip top ! J’ai du mal à lier des relations avec les autres, du moins, avec les enfants de mon âge. J’apprécie beaucoup les adultes. Etre au milieu de leurs conversations et « ramener ma science » Aucun sujet ne me dérange, mais, eux ne l’entendent pas toujours de cette oreille.

 

Souvent, je m’entends dire, c’est pas trop pour toi, ça, allez, vas te coucher. Ça me met hors de moi ! Je ne supporte pas d’être mis à l’écart, le vis comme un rejet. Et, puis, je ne le vois pas comme ça, moi. CP, enfin, on va bosser ! Mais, alors là, déception. Ca traîne en longueur. Mais ça fait quinze fois qu'on voit ça, on a compris ! Je m’ennuie, moi. Alors, parfois, je le manifeste. Et l’instit' n’est pas content. Il en réfère à mes parents, problèmes de comportement.

 

LA RÉCRÉ, MON ENFER ! 

Dans la cour, c’est encore pire. Crâne d’œuf, c'est comme ça qu'ils m'appellent, rapport à mes cheveux blonds. Souvent, on « m’embête », et je me dispute. Et là encore, c’est souvent moi qu’on accuse ! Moi, ce que j’aimerais, c’est rester en classe. Rester bosser, seul. Mais, l’instit' ne veut pas, raison de sécurité. Alors, au moins, qu’on me permette de rester auprès des adultes : instituteurs, ATSEM, ou cuisiniers. Mais là encore, je dérange.

 

Ils sont en pause, ont besoin de souffler. J’ai constamment le sentiment de déranger. Niveau scolaire, ça va plutôt bien, j’entends au niveau des notes, mais, ce que je me sens mal… A en avoir des idées noires, parfois. Cela inquiète le corps enseignant. Et la famille… Au point d’alerter. On m’envoie voir un psychologue. Et, le verdict tombe : je suis précoce ou "haut potentiel". Ça paraît top, comme ça, un peu flatteur, mais, pour moi, c’est plutôt synonyme de mal-être et d’ennui à l’école. Et puis, il ne faut pas penser que pour moi, tout est facile. Bien au contraire, je me mets énormément de pression. Perfectionniste à l’extrême, dur avec moi-même, c’est 18/20 ou rien. 16, pas suffisant. Une pression qui finira par me coûter cher. Mes parents ont beau me rassurer, rien n’y fait. 

LES RELATIONS SOCIALES
Pourtant, je ne suis pas particulièrement timide. Très créatif, de l'humour, un caractère bien affirmé, j'aime "amuser la galerie". J'ai demandé à faire du théâtre, et je m'éclate sur les planches. J'adore me donner en spectacle. En vacances au camping, je ferai un numéro de magie devant une salle comble. Proposerai également mon aide au "pizzaiolo", aux heures d'affluence. Mettre la main à la pâte ne me fait pas peur.

 

L'art m'intéresse pas mal, la musique, les sonos, et jeux de lumières. Très jeune, je me propose d'animer des soirées, en tant que régisseur sons et lumières. Un métier qui me tente, mais, l'art, cela peut être compliqué d'en vivre, un peu "hasardeux". L'informatique présente davantage de garanties. Très tôt, je m'interroge sur mon avenir, me projette dans la vie active. 

LE COLLÈGE 


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ON NE VA PAS REFAIRE LE PROGRAMME POUR TOI !

 

De nouvelles matières, pour certaines, plutôt sympas. Dont la musique que j'apprécie. Je suis plutôt matheux, comme mon père. Une chance, ma mère est à l’opposé total ! Une littéraire. Pour les devoirs, ça peut aider. Le français, je gère, mais, pas franchement mon truc. Ce que je préfère, c’est encore la techno, et surtout, l’informatique. Et, sur mon temps libre, je ne rejoins pas les copains pour jouer au foot (je déteste le sport), mais préfère concevoir un système de comptage électronique des élèves au passage au self !

 

J’ai constaté que c’était galère, pour les cuisines, de savoir s’il faut chauffer encore des pâtes, ne sachant pas combien d’élèves vont encore se présenter. J'ai eu envie de les aider, en ai discuté avec eux. J’ai acheté tout le nécessaire, circuits imprimés, LED… Le soir, je potasse mon projet, m’informe dans les bouquins, monte le plan sur mon ordi. Enfin une activité intéressante ! Car, moi, la théorie, ça me gave ! Emmagasiner des trucs pour la réussite d'un contrôle, qui seront aussi vite oubliés. J'aime trouver un sens à ce que je fais. Ça facilite grandement les choses, lorsque la passion y est. Travailler devient alors plaisir. 

 

Et, le projet voir le jour, ça fonctionne.

En cuisine, on est ravi !

 

Avec le corps enseignant, les relations sont donc assez « controversées ». D’un côté, on reconnaît ma volonté, mon goût pour le travail, de l’autre, on pointe encore souvent ces soucis de comportement, mon désaccord avec les autres, et avec le système qui ne me convient pas. En gros, on ne va pas changer le programme pour toi ! C'est toi qui dois t'adapter, et non l'inverse. Normal, en même temps, il en faut pour tout le monde, on est encore dans le général. Vivement le lycée, alors, je pourrai choisir mon orientation, et me diriger vers un Bac S, plus "ciblé. 

DÉCROCHAGE !


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La seconde se passe plutôt bien.

 

Nouvel établissement, et surtout, mentalité différente. On a mûri ! Moins de moqueries, on commence à penser sérieux. Mais en première, tout s'écroule. Alors que j'espérais me diriger vers un BAC ciblé, l'Education Nationale en a décidé autrement. Nouvelle réforme. Plus de BAC S mais un BAC général avec options ! Davantage de matières alors que le niveau s'élève considérablement dans mes matières de "prédilection".

 

Pour moi qui suis perfectionniste, la pression est colossale. Exceller partout, à raison d'un à trois contrôles par semaine, je suis submergé. Il faudrait accepter l'idée que 12, en maths, c'est une bonne note, à ce niveau mais, je le vis mal. Je découvre aussi la philo. Et ne m'attendais pas à cela. Me poser des questions sur la vie, m'interroger, j'aime, mais, alors, étudier en long et en large la pensée de Descartes, moi...

 

Les notes et la moyenne générale m'obsèdent, une matière qui pose soucis la fait chuter et je me sens nul. J'en perds confiance à en tomber malade. Dépression, burn out, en pleine période de Covid ! Je manque beaucoup de cours, qui seront difficiles à rattraper.

 

Me sens exténué, vois "flou", ne peux plus sortir du lit. Les profs sont compréhensifs et me demandent de prendre soin de moi. Le confinement me sauve quelque part, m'offrant du repos. Bon an mal an, j'obtiendrai tout de même le BAC, avec mention, dans ces circonstances un peu particulières. Et la question de la suite va se poser. Le BTS, on me le déconseille, tu vas t'ennuyer. La FAC, encore moins...

 

LE GRAAL !


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Puis, je trouve, l'école de mes rêves. Sur Rennes, une école privée, avec mode d'apprentissage par pratique. Programmeur informatique. Seulement, c'est cher. Je m'informe sur les bourses, mauvaise nouvelle, mes parents gagnent trop. Oh, ils ne roulent pas sur l'or, la fameuse "classe moyenne".

 

Je vois pour un prêt étudiant, auprès de la banque, et là, ça coince encore. Cette fois, mes parents ne gagnent pas assez, 20 000 euros pour les deux premières années d'études, la banque veut assurer ses arrières, il lui faut des garanties.

 

Je parviens malgré tout à négocier, la conseillère fait le nécessaire pour convaincre plus "haut" Et, ça passe. 5 années d'études au total, les 3 dernières années seront prises en charge par l'entreprise qui me formera en alternance. Me faut aussi un logement. Là encore, ça n'est pas donné. J'ai le droit aux allocations. Reste  à couvrir les frais de vie courante, les factures. Je prendrai un petit boulot de livreur (insuffisant pour tout "couvrir"), mes parents m'aident à la hauteur de leurs moyens. 


ENFIN À MA PLACE ! 
Tout est en ordre. Et là, c'est le bonheur ! Pour la première fois, je me sens vraiment épanoui dans ce que je fais. Tout me correspond. De quoi ravir mes parents et les encourager à "galérer" quelque temps pour assurer financièrement. Mes relations avec les autres s’arrangent comme par magie !

 

Quelle n’est pas la surprise de la famille en annonçant que j’ai été félicité pour « mon travail équipe » Moi, "l'inadapté" ! On en plaisante, même, tous ensemble. Qui l'eût cru. Comme quoi, tout arrive. Et quelle joie. 


Afin de nous booster sur nos projets, il est en effet délivré des prix : ici, étaient en jeu le prix de l'excellence, le prix du courage, j'ai obtenu celui de la solidarité. Pour être allé aider les autres, une fois mon "job" effectué. Il n’est pas encore question de travailler en entreprise, cela viendra plus tard. En revanche, on élabore des choses, se met en situation professionnelle, et conçoit ! Un prototype de jeu vidéo ! Afin de nous responsabiliser et nous pousser au challenge, il est question de rôle. Celui d'AER… me motive particulièrement. Et, j’obtiens le poste !

 

En gros, moi, et les autres AER seront « mentor » de la promotion suivante. Il y a des thèmes pour mettre de l’ambiance, sur un travail. Exemple, Harry Potter. On bosse à fond. Et surtout, plus de notes ! Nous sommes évalués sur des points précis : Entre zéros et quatre, acquis, non acquis… Un total approximatif qui donne une idée d'ensemble du travail accompli. Exemple, graphismes, le projet est-il est abouti, y a t-il des bugs… Ce qui demanderait à être amélioré. Le positif est pointé !

 

L'évaluation du projet présenté n'est d'ailleurs pas figée. La possibilité d'améliorer notre travail nous est laissée, à partir des observations, contrairement à un "contrôle", où, le manque d'inspiration, le raté vous est fatal. Raté, c'est plié, on passe à autre chose. Ici, on tire parti de ses erreurs, finalement. 

PREMIERES EMBÛCHES

Mais, bientôt, premier coup dur. Il faut trouver un stage en entreprise. Et là, ça bloque. J’écris, des courriers et des courriers, que des réponses négatives. La raison évoquée la plupart du temps, trop jeune, pas suffisamment de compétences. Les dates ne conviennent pas… J’en suis bientôt à 60 candidatures. Et commence à désespérer. On comprendra que la productivité prime… Pourtant, moi, j’en veux ! J’en rêve de ce stage, et j’ai beaucoup à donner car je suis passionné !

 

Un petit coup au moral, c’est frustrant. Puis, des bruits de couloir circulent. Rien n'est encore sûr, mais, il serait question de supprimer le mode « par alternance ». Une décision du groupe, au niveau national. Non de l’école. Mais, si cela s’avérait, cela aurait de lourdes conséquences. Car, adieu le financement par l’entreprise, des 3 dernières années d’études. Cela m'inquiète, et je "tire les vers du nez" à un responsable pour en savoir plus.  Et, malheureusement, les rumeurs étaient fondées.

 

Il me le confirme. Plus d’alternance ! Ce qui élève le coût total de formation à 60 000 euros ! Rien que l’école. Pour moi, c’est impossible, j’ai déjà peiné à obtenir mon prêt étudiant de 20000 et dû négocier, la banque n’acceptera jamais.

 

Puis, ai-je envie de passer une vie à rembourser mes études ? Une dette pareille, pour débuter dans la vie ?

Cela frôle la déraison, du moins, dans la situation qui est la mienne. Mes parents ne roulent pas sur l'or et ne peuvent assurer. 

SE RETOURNER
Alors, je réfléchis, seul ! Je n'ose même pas l'annoncer à mes parents, peur de leur réaction, le coup dur. C'est là que je me vient une idée. Un truc qui me fascine depuis l'enfance, les transports. Les bus, les trains, métros. Depuis que je suis sur Rennes, je les emprunte régulièrement et cela se confirme.

 

J'aimerais essayer. Le métier de conducteur. Oh, je sais ce que vous allez me dire, ça ne sera pas la même vie qu'informaticien ! Pas le même salaire, non plus. Des contraintes, des horaires à la gomme...  Mais, je suis jeune, pas encore de vie de famille, et tout le temps de me retourner. Si je veux explorer cette piste, c'est maintenant ! Je me renseigne auprès d'une entreprise, des conducteurs de bus, ils en recherchent ! L'âge fait encore un peu "tiquer", le permis était encore à 21 ans, il y a peu, mais, à force de persuasion... Épreuves de sélection à type "concours" avec mises en situation : gérer un passager difficile qui vous parle, conserver sa concentration, on nous teste ! Transporter des centaines de passagers chaque jour, n'allez pas imaginer que l'on confie cela à "n'importe qui" non plus.  Reste l'entretien avec la direction pour s'assurer de notre motivation. Et, c'est dans la poche ! 

 

On me propose une formation, le permis, et CDI à la clef, de quoi m'assurer un salaire, l'indépendance financière, mais aussi des perspectives d'évolution ! Chef de ligne, et autre. L'ascension sociale au sein d'une entreprise, cela existe. Alors, je fonce. Non dans un esprit de "dépit", mais plutôt de nouveau challenge. 

 

De cette année en école d'informatique, je retiens le positif. Pour moi, loin d'une année perdue. J'ai acquis des connaissances, j'ai mûri, un enrichissement personnel, une approche de la vie en entreprise. Et, j'ai kiffé !

 

Maintenant, qui sait de quoi l'avenir sera fait ? Ne me dites pas que c'est dommage, oubliez les jugements de valeur, de type, avec ton potentiel... Je dois réagir, me prendre en main, faîtes moi confiance. 

 

CÔTE PARENTS, LA RÉACTION DE LA "MAMAN"


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Je suis très fière de Killian. Il aura tant peiné à trouver sa place dans le système « général » pour enfin s’épanouir dans une école. Et là, cette déception ! Autant dire qu’on lui aura un peu « coupé l’herbe sous le pied ». Beaucoup se seraient enfermés dans la colère et le dégoût. En auraient peut-être même voulu à leurs parents de ne pouvoir subvenir. Au lieu de cela, il a su rebondir, et chercher seul une solution. Envisager des perspectives d’évolution. Puis, mettre de côté l’orgueil, pour se diriger vers un métier aujourd’hui boudé.

 

Car, il me l’a confié. L’accès au baccalauréat, aujourd’hui un peu "bradé" fait que ces métiers n’attirent plus. Tout le monde souhaite aller dans le supérieur. Seulement voilà, à l’heure où l’on accuse les jeunes de ne pas en vouloir, fait-on vraiment ce qu’il faut pour les encourager ? Difficulté à trouver des stages, financement des études, coût du logement, de quoi en décourager plus d’un. Killian est un bosseur. Un curieux, un passionné ! Et ne reste jamais sur ses acquis. S’il ne trouve pas sa place ici encore, il bougera !

 

Jamais il ne « subira » , s’enfermera sans réagir. Alors, vas-y, fonce, trace ta route ! Et bravo encore, je ne sais si j'aurais eu ta force.

Commentaires: 1
  • #1

    lilian (vendredi, 24 février 2023 14:37)

    Quel parcours pour ce jeune homme et en même temps, quelle triste réalité de notre système scolaire...