🎵 MUSIQUE I LE TOP 10 DES CHANSONS FRANÇAISES. (PARTIE 2/2)


PAR RÉGIS PENHOËT - 22.05.2023

Vous n'écouterez pas avec la même oreille du Brassens si vous avez vingt ans... que si vous en avez soixante !
Vous n'écouterez pas avec la même oreille du Brassens si vous avez vingt ans... que si vous en avez soixante !

Bon, vous le savez depuis le temps, je suis un grand adepte des listes dénombrant les incontournables quel que soit le domaine, et plus encore du traditionnel Top Ten qui permet de dresser une liste exhaustive. C'est ce que je m'apprête à vous fournir présentement. Mais dans quel domaine me direz-vous ? Eh bien, je vais vous parler musique et plus précisément chanson française en vous proposant de sélectionner, selon mes préférences personnelles cela va sans dire, les dix titres que je considère comme véhiculant le plus d'émotions ou porteurs d'un message fort.

 

Avant de commencer, il est essentiel de préciser que toute chanson (ou presque mais nous ne nous y attarderons pas) possède une histoire qui lui est propre et que l'émotion qu'elle suscite chez un individu dépend essentiellement de son propre vécu : vous n'écouterez pas avec la même oreille du Brassens si vous avez vingt que si vous en avez soixante, c'est assez logique car au fur et à mesure que l'on avance dans le chemin de rail qu'est la vie, on développe de l'expérience et on est alors plus à même de saisir les subtilités de certains textes dont on serait complètement passés à côté si on les avait entendu plus tôt !

 

En somme, une même chanson peut transmettre une multitude d'émotions et / ou d'interprétations en fonction du vécu de son auditeur mais aussi de paramètres parallèles tels que la voix de l'artiste (car la plupart des chansons peuvent être reprises et réinterprétées à l'infini), les circonstances dans lesquelles on a entendu ce titre le plus souvent (car la mémoire cognitive associe automatiquement les musiques, au même titre que les senteurs, les saveurs ou les couleurs, à des souvenirs, des images du passé, et donc des émotions), et bien sûr, la nostalgie, celle-ci s'avérant sans nul doute comme l'atout indispensable qu'aura une chanson dans le cœur d'une personne, car c'est indéniablement cette émotion qui nous fera hautement apprécier des musiques qui auront su traverser un pan de notre existence.

 

Ainsi, on se souviendra avec une incommensurable tendresse de la chanson que l'on aura eu plaisir à entendre un proche chanter lorsque nous étions en voiture, d'un tube de l'été, que l'on pourra certes trouver ringarde aujourd'hui mais qui nous rappelera nos sorties adolescentes sur les plages, ou encore d'une musique de film qui nous remémorera la séance à laquelle nous avions assisté avec le / la partenaire de nos premiers émois. Vous pouvez assurément le constater : il existe autant de raisons d'apprécier une chanson, en fonction de l'écho qu'il effectue dans nos souvenirs, qu'il existe de sublimes titres de la variété française (bien sûr, il existe pléthore de titres tout aussi renversants dans les langues autres que celle de Molière mais j'avoue ne pas être un linguiste suffisamment calé pour en saisir tous les sens).

 

Sans plus tarder, nous allons entrer dans le vif du sujet avec une liste des dix titres qui, selon moi, portent le plus aux «  tripes «  comme on dit, ceux qui me parlent et qui, je pense, sont fédérateurs et peuvent ainsi dégager des émotions semblables chez tout un chacun.

 

A noter une fois n'est pas coutumes qu'il s'agit là d'un classement ''partial'' puisque les goûts et les couleurs ça ne se discute pas, et je vous invite dès à présent à établir, ne serait-ce que mentalement, votre propre liste afin de les glisser dans votre playlist Deezer ou Spotify ( si ce n'est déjà fait !)

''LETTRE A FRANCE'' DE MICHEL POLNAREFF


(c) nostalgie.fr
(c) nostalgie.fr

Cette chanson va peut-être s'avérer l'exception qui confirme la règle de ce TopTen car en effet, pour le moment, c'est soit l'interprétation soit le texte lui-même que j'ai tâché de mettre en avant pour justifier la place des chansons qui apportent beaucoup, à mon sens, en terme d'intensité émotionnelle dans le répertoire français.

 

Mais la «  Lettre à France «  de l'illustre et énigmatique Michel Polnareff déroge quelque peu à cette règle pré-établie. Si le texte ainsi que le sujet abordé peuvent atteindre ma corde sensible, c'est davantage la mélodie et la rencontre entre voix puissantes grave / aigue qui m'interpelle et m'oblige à la classer ci-contre.

 

On peut certes expliquer que l'on puisse être touché par tel ou tel texte, tel ou tel artiste, mais donner un raisonnement sur l'émotion que peut procurer une musique, j'avoue ne pas trop savoir le faire. Je vais me contenter de vous relater ce qui me plaît dans ce titre culte de l'homme aux lunettes noires, outre cette musique envoûtante.

 

Selon moi, Lettre à France peut exprimer deux sujets distincts et / ou étroitement liés, à savoir la rupture amoureuse (prise pour des raisons personnelles au sein d'un couple) ou une rupture géographique (qui pourra alors justifier la rupture sentimentale que l'on peut ressentir à l'écoute des paroles prononcées.).

 

Dans cette chanson plutôt bouleversante, non ressent la détresse de son interprète qui ne semble vivre qu'à travers une ancienne grande passion qu'il a perdu (en définitive la raison n'a que très peu d'importance pour aborder l'écoute minutieuse de ce texte à coeur ouvert) et on peut deviner qu'il ne s'agit pas d'une rupture récente mais bien d'un amour égaré, peut-être même s'agit-il d'un amour de jeunesse, mais qu'importe puisque ce qui nous transporte c'est la force des sentiments qui animent l'interprète qui, au regard des paroles prononcées, ne vit plus véritablement, dans l'incapacité de faire le deuil de cette relation. Et entendre le poids de cette souffrance, cette impossibilité de se résoudre à oublier, ça porte aux tripes si je puis m'exprimer ainsi.

 

Parmi les paroles les plus marquantes en terme d'émotions transmises, je retiendrai celles-ci : "Depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi...". Ces mots pesants donnent le ton global de l'état psychologique dans lequel se trouve le chanteur abandonné et, de façon plus universelle, l'émotion suscitée par ce sentiment de n'être plus vraiment en osmose avec soi lorsque le lien avec l'être aimé est rompu, que celui-ci soit à des milliers de kilomètres (comme suggéré dans le texte) ou à quelques dizaines de kilomètres. Seule la distance relationnelle prend du sens en ces instants difficiles.

 

Plus loin, Michel évoquera, toujours en alliant mélancolie et poésie : "Je vis dans une boîte à musique, éléctrique et fantastique. Je vis en chimérique" . Au travers de ces mots qui se veulent rassurants à la première écoute, Michel exprime son profond mal-être, son indisposition à retrouver le contact avec l'extérieur. Vivre dans une boîte à musique peut alors symboliser deux aspects, soit il se morfond dans les compositions pour tenter d'oublier et pour noyer sa profonde tristesse, soit il parle d'un antre privé, son chez lui, son atelier ou son bureau dans lequel il peut se plonger dans son univers, un univers chimérique où il essaie vainement de noyer sa solitude.

 

"La différence, c'est ce silence parfois au fond de moi"… Avec de telles déclarations, le chanteur nous expose son sentiment d'être vide à l'intérieur, de ne plus avoir d'âme ou / et de flamme en lui depuis la perte de la femme dont il était follement épris (eh oui l'amour et la folie font souvent ménage commun, d'où la comptine de la marguerite dont la folie vient en apothéose après la passion. C'était une parenthèse.). On peut également supputer qu'en insistant sur le mot silence, Michel exprime avec une profonde douleur le vide qu'il ressent dans sa vie depuis le départ de l'être aimé, ce silence qui est en lui, comme si aucune parole, aucune musique, aucune autre personne ne pouvait compenser cet incommensurable manque.

 

Enfin, la strophe suivante, résonnant telle une sentence, est équivoque à plus d'un titre : ''Oui, j'ai le mal de toi parfois, même si je ne le dis pas. L'amour c'est fait de ça''. Avec ces mots percutants, le chanteur exprime la douloureuse contrepartie du sentiment ( inépuisable ? ) qu'est l'amour, lequel peut s'avérer dévastateur pour l'être aimant lorsqu'il est abandonné, à sens unique ou non réciproque. On le sait toutes et tous : aussi beau que puisse être ce sentiment, aussi noble puisse-til être, il n'en est pas moins également le plus cruel lorsque celui-ci s'arrête prématurément.

 

Ce que j'apprécie beaucoup dans ce titre, outre l'incroyable authenticité dont fait preuve le chanteur, c'est qu'il fait appel à notre humanité. En effet, on est tous à même de saisir la vive épreuve que vit l'interprète, et j'ajouterai que les mélodies sont parfaitement accordées au thème de la chanson.

''MISTRAL GAGNANT'' DE RENAUD


(c) francetvinfo.fr
(c) francetvinfo.fr

Cap sur un nouveau style musical avec un incontournable artiste des plus atypiques, j'ai nommé Renaud. Que l'on aime ou pas le personnage, force est de constater que ce chanteur excelle dans la profondeur de ses textes autant que dans sa facilité à émouvoir son auditoire avec une voix cassée, comme éraillée par une vie que l'on suppose quelque peu dissolue.

 

Cette chanson est en premier une ôde aux souvenirs d'enfant, aux souvenirs heureux, d'un homme et ce en compagnie d'une personne ( on suppose qu'il s'agit alors d'une jeune camarade de classe ) qu'il a beaucoup aimée. Il évoque alors dans ce récit poétique ce que ces deux jeunes enfants se racontaient et vivaient lorsqu'ils étaient encore innocents, mais ce n'est pas tant les détails rapportés qui sont essentiels mais la manière dont ils sont ici transposés, avec une telle précision que l'on a l'étrange sensation que ces souvenirs sont aussi les nôtres.

 

Cette chanson est empreinte de nostalgie et on est facilement embarqués dans cette vague submersible de souvenirs, que ce soit concernant certaines confiseries qui n'existent plus aujourd'hui, les amusements d'autrefois tels marquer dans les flaques ou faire peur aux pigeons, ou encore les petites frayeurs lorsqu'il essayait de chaparder quelques menus bonbons dans l'épicerie du quartier.

 

Ce récit, c'est la nostalgie d'une autre époque, une époque révolue. C'est aussi le récit d'un monde qui évolue, et les souvenirs partagés avec une personne de sa génération qui peut aisément comprendre de quoi il rétourne puisqu'ils parlent le même langage, possèdent les mêmes repères. Ce texte est aussi une ôde à la nostangie car qui d'entre nous n'a jamais dit, ou tout du moins pensé fortement «  c'était mieux avant ! « . Effectivement, l'être humain est ainsi fait : il aura toujours tendance à s'accrocher à ses souvenirs et considérer que l'évolution, certes nécessaire, est un obstacle à ses repères de jeunesse, ces derniers lui étant indispensables car ils favorisent son enracinement dans l'existence. C'est bien la raison pour laquelle l'être humain n'est point un grand adepte du changement, signe de fébrilité.

 

Ce que j'aime dans cette chanson, outre le poids de chacun des mots et l'interprétation fragile de Renaud, c'est le côté très personnel de ce texte qui ne s'apparente même pas en premier lieu à une chanson mais à une page de carnet intime, une conversation à bâtons rompus entre un homme et un interlocuteur, qui peut s'avérer son  ancienne camarade ou lui-même imaginant qu'il lui parle par procuration.

 

''JE SUIS MALADE'' DE SERGE LAMA


(c) cdandlp.com
(c) cdandlp.com

Voilà un autre texte qui, outre son aspect référence des classiques de la chanson française, s'avère fort de par la souffrance évoquée par le chanteur qui se sent seul dans une histoire d'amour dans laquelle il semble s'être embarqué à corps et cœur perdus.

 

Cette interprétation, sublimée entre autres par Serge Lama puis Lara Fabian, fut également l'occasion d'un nombre incalculable de reprises, mais ce sont principalement les deux citées qui resteront gravées dans nos esprits.

 

Cette chanson est bouleversante à mes yeux et ce en premier lieu car ses interprètes y ont toujours placé une grande fragilité dans la portée et le poids des mots, dans la volonté de presque parler et non chanter, et ce même s'il s'agit là encore d'un véritable cri du cœur. Cette étonnante fragilité fait mouche tant on ressent cette difficulté qu'a le protagoniste à admettre l'évidence et cesser de se voiler la face : sa relation de couple ne le rend point heureux et pire, ça le plonge dans une profonde noirceur, une dépression incommensurable.

 

Au travers de cette chanson, on comprend deux choses primordiales : déjà la règle philo-romanesque du 1 + 1 = 1 n'est pas toujours tangible et aussi qu'être en couple ne signifie nullement être heureux. L'adage «  mieux vaut être seul que mal accompagné «  prenant alors tout son sens.

Sauf que, nous le savons toutes et tous parfaitement, en amour, on ne choisit pas toujours et il arrive que l'on se retrouve embrigadés malgré soi dans une relation qui ne nous convient pas ou, plus couramment encore, qui ne nous convient plus ! Sauf que l'amour, sentiment ô combien incontrôlable, peut alors faire barrage entre le cœur et la raison, vous connaissez la chanson...

 

Le texte évoque également l'un des grands maux qui peut s'avérer être la contrepartie lorsque l'on construit une relation de couple bâtie sur une inégalité : l'un d'eux peut alors s'oublier, par amour bien sûr, au détriment de ses propres envies, de ses propres aspirations, de sa propre vie. C'est le cas de ce personnage triste qui admet avoir tout misé sur la réussite de cette relation de couple, aux dépens de ce qui le faisait exister en tant qu'individu à part entière.

 

Dès les premiers mots déclenchés, on devine que la relation entre ces deux êtres n'a pas été un long fleuve tranquille et que le poids des paroles prononcées est plongée dans une forte amertume, un point de non retour : ''Je suis sale sans toi, je suis laid sans toi, comme un orphelin dans un dortoir.''. On sent d'entrée de jeu le peu d'estime que ressent le chanteur pour lui-même avec des propos dans lesquels il se rabaisse et insiste sur son irrépressible sentiment d'abandon.

 

Plus loin, Serge parlera d'un sentiment bien connu par tous les amoureux ayant connu les affres de la relation à distance, qu'elle soit de quelques heures ou de quelques jours, notamment lors des premiers rendez-vous :

''Je n'ai plus envie, de vivre ma vie. Ma vie cesse quand tu pars...''  Ces mots, qui peuvent sembler excessifs, sont généralement le ressenti des âmes-sœurs qui viennent de se trouver. Sauf qu'après la passion, survient la raison et avec elle on réalise que notre vie ne doit pas dépendre de celle de l'être aimé, elles doivent juste se compléter.

Dans la romance décrite par un chanteur meurtri, on devine que l'un des membres du couple a pris l'ascendant psychologique, que ce soit conscient ou pas, et qu'il en a joué. On parlera aujourd'hui de pervers narcissique même si les raisonnements pouvant expliquer ce cri de détresse peuvent être nombreux. Ce que l'on retiendra, c'est avant tout la noirceur du texte, la force des sentiments de cet homme que l'on sent à bout et incapable de surmonter cet échec, cette perte sentimentale.

 

Ce qui peut paraître paradoxal, et c'est aussi ce qui rend ce texte aussi touchant, c'est que le chanteur a pleinement conscience qu'il s'est lui-même mis dans cette situation, qu'il l'a choisie. Il n'est donc pas dans une simple complainte de victimisation. Bien sûr, il assaille de reproches mais en définitive on est en mesure de se demander si ce n'est pas à son encontre qu'ils sont destinés : «  Comme à un rocher, comme à un péché, je suis accroché à toi... «  Une telle déclaration peut être considérée comme un aveu de faiblesse et surtout signifier que c'est bel et bien lui qui a fait le choix de rester dans cette relation dans laquelle il ne se retrouve plus depuis bien longtemps, au point de s'enivrer pour noyer son chagrin.

 

Dans le couplet suivant, Serge évoquera l'image suivante qui possède elle aussi un double symbole :

«  Je suis comme un oiseau mort, quand toi tu dors « , plutôt anecdotique en effet puisque, en théorie, lorsque sa moitié dort, il devrait ressentir une certaine liberté, une facilité de pouvoir se retrouver lui-même, lui qui est supposé être enfermé tel un oiseau dans sa cage. C'est là encore un sentiment ambivalent qui démontre à quel point l'esprit de cet homme est torturé et qu'il ne raisonne pas logiquement dans cette relation.

 

Enfin, il pose des mots très durs que l'on devine pourtant dès le début de son œuvre tant on sent le chanteur au bord du précipice, à bout de tout ce qu'il a pu enduré avant d'en arriver à ce cri de détresse qui peut alors être considéré comme une lettre de rupture, ou pire... une lettre de suicide :  ''Cet amour me tue, si ça continue, je crèverai seul avec moi...''. En glissant de tels propos, Serge exprime avec un ressentiment palpable qu'il se considère d'ores et déjà seul dans son couple, couple qui n'existe d'ailleurs plus, et on ne peut voir dès lors qu'une seule issue dans ce texte : la fin... même si on ignore si ce cœur brisé sera entendu par son principal destinataire.

 

Pour conclure, j'apprécie ce texte car il met en lumière le pouvoir destructif que peut avoir le sentiment amoureux et surtout il me parle car il me semble primordial de ne jamais s'oublier ou faire trop de concessions au détriment de ses propres besoins. Les torts dans l'échec de cette relation sont très certainement partagés car le protagoniste qui s'exprime avec regret aura fait l'erreur d'oublier de s'écouter pendant trop longtemps.

 

''SI SEULEMENT JE POUVAIS LUI MANQUER'' DE CALOGERO


(c) ebay.fr
(c) ebay.fr

Alors alors... J'avais déjà choisi une chanson sur le thème de l'abandon paternel précédemment et ce n'est pas forcément un sujet qui me tient à cœur. Pour autant, j'ai été interpelé dès la première écoute du célèbre titre de Calogero, artiste-compositeur capable de véritables pépites mais aussi de titres dont je suis bien moins fan, par la profondeur du texte tout autant que par l'incommensurable émotion qui en découle.

 

Calogero exprime avec une sensibilité affirmée le trouble que peut ressentir un enfant, quel que soit son âge, dès lors qu'il ne connaît pas l'identité ou / et la présence de son père ( que l'on peut alors qualifier de simple géniteur, enfin ne nous égarons pas ) dans sa vie. Paradoxalement, le souhait le plus cher de l'interprète dans cette touchante chanson dont les arrangements musicaux participent grandement à la rendre marquante à plus d'un titre, serait que ce père se manifeste enfin, qu'il lui adresse ne serait-ce qu'un signe, qu'un regard, et ce pour lui signifier qu'il a bien connaissance de son existence et, par extension, qu'il a été désiré et qu'il n'est pas le fruit de l'immaculée conception.

 

Dès les premiers mots fredonnés, Calogero laisse la porte ouverte et ne semble pas empli de rancoeur envers ce père absent et ne demande qu'à une seule chose : des réponses !

«  Il suffirait simplement qu'il m'appelle... D'où vient ma vie, certainement pas du ciel « … On réalise avec ces quelques paroles la cruelle dimension de vide que peut ressentir un enfant, quand bien même qu'il soit devenu adulte entre-temps, lorsqu'il a dû vivre avec cette inconnue dès les premières années de son enfance, qui plus-est si il n'a pu que constater le «  schéma familial classique «  d'un père et d'une mère auprès de ses camarades de classe.

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'auteur poursuit sa composition en affirmant qu'il souhaiterait vivement pouvoir lui parler, ouvrir un dialogue avrc lui, bref, apprendre à le connaître :

«  Lui raconter mon enfance, son absence tous les jours. Comment briser le silence qui l'entoure « . A l'écoute de ces mots, on devine que le chanteur se met à la place de tout enfant ayant subi cet abandon d'entrée de parcours et il se positionne en jeune garçon ( ou jeune fille ) optimiste : son texte, que dis-je, son cri du cœur, n'est pas à charge, loin de là, il est pacifique. Il s'adresse à ce père absent sans détour pour établir un premier contact et lui faire savoir qu'il ne lui en veut pas. C'est en tout cas ce que perçoit mes oreilles et j'avoue être impressionné par tant de sagesse et si peu de ressentiment à l'égard d'un homme qui l'a méprisé avant même qu'il ne vienne au monde, et ce même si ses raisons personnelles peuvent être ô combien louables, ou tout du moins justifiables.

 

Plus tard, le chanteur exprimera, toujours avec une certaine bienveillance, qu'il continue à parler à ce père absent, à faire comme si il faisait malgré tout partie de sa vie alors qu'il n'en n'est rien. Sans doute parce qu'il est plus facile de se convaincre que ce père est là quelque part et qu'il peut librement penser à lui, lui parler même sans qu'il ne parvienne à l'entendre, et réciproquement, plutôt que d'envisager que ce père ne pense jamais à lui et qu'il serait donc nécessaire de lui rendre la pareille en l'effaçant à tout jamais de son esprit ( et non de sa mémoire ), puis vient le moment où l'interprète déclame avec tant d'espoir et de pudeur :

«  J'ai qu'une prière à lui adresser... si seulement je pouvais lui manquer « . Ces paroles sont assez impressionnantes car on y décèle une incroyable sagesse et maturité et ce en dépit des difficultés que cet enfant à dû rencontrer dans sa jeunesse, sans compter bien sûr celles de sa mère qui aura dû batailler seule pour l'élever ( lui ainsi qu'une fratrie éventuelle ).

 

Dans la seconde partie de son récit chanté, l'artiste s'adresse dorénavant à nous, il expose fièrement qu'hormis la présence d'un père il n'a manqué de rien mais on sent dans ses propos que cette absence le poursuit inlassablement et ne cesse de lui peser dans son rapport à la vie : ''Aussi vrai que de loin je lui parle. J'apprends tout seul à faire mes armes...''. Ces paroles démontrent sans l'ombre d'un doute que l'absence d'un parent (père ou mère) peut impacter et fragiliser énormément le bien-être d'un enfant qui ne se sent pas complètement protégé, surtout si il pense que ce père est ''volontairement''  absent (dans ce titre, on suppose bien qu'il est toujours de ce monde puisque l'enfant exprime le souhait de lui manquer).

 

La mort d'un parent, aussi insoutenable qu'elle puisse être, n'est pas forcément pire que de savoir son parent quelque part et n'avoir aucune nouvelle, surtout pour un enfant (enfin c'est une opinion).

 

En définitive, ce que j'apprécie particulièrement dans cette chanson, outre l'harmonie accords / voix avec ce sublime texte criant d'authenticité, c'est cette facilité qu'a eu son auteur à transposer avec douceur les émotions contradictoires que peuvent éprouver les enfants dans cette situation. Il prouve que l'on se construit très bien même dans la difficulté et que ce garçon qui déploie tant d'énergie à ouvrir son cœur a d'ores et déjà tout compris. Il est dans l'acceptation et dans la résilience. Deux caps ô combien laborieux à passer mais désormais cet enfant les a franchis puisqu'il est parvenu à mettre des mots sur sa souffrance, et en musique.

 

''SOS D'UN TERRIEN EN DÉTRESSE'' DE DANIEL BALAVOINE


(c) rts.ch
(c) rts.ch

Je vous l'avoue : j'ai longuement tergiversé avant d'élire l'ultime titre qui figurerait dans ce classement personnel. J'étais parti dans l'idée d'opter pour des titres issus de dix artistes distincts, mais il m('est impossible, après maintes écoutes d'autres chansons en balance, de ne pas sélectionner ce chef-d'oeuvre de la chanson française qui réunit, selon moi, l'un des plus grands paroliers du vingtième siècle, j'ai nommé Michel Berger, et l'un des interprètes les plus impressionnants de cette même génération, Daniel Balavoine.

 

C'est donc en hommage à ces deux grands et illustres artistes que je choisis naturellement, pour clore ce dossier musical, le titre «  SOS d'un terrien en détresse « , ce véritable cri du cœur d'un homme qui ne se sent guère à sa place dans ce monde, un cri qui sert indéniablement d'écho pour tous les gens qui ne sentent pas, ou du moins pas toujours, à leur place au sein de notre société, sur cette Terre ou dans cette vie de façon générale.

 

Dès les premières notes, dès les premiers mots entonnés, on ne peut que vibrer puisque ces derniers, en guise d'interrogations existentielles, nous poussent à avoir une réflexion sur notre place ici-bas et / ou dans notre propre vie.

«  Pourquoi je vis, pourquoi je meurs ? Pourquoi je ris, pourquoi je pleure ? « : Avant même que l'incontournable mot «  détresse «  n'apparaisse dans la ligne suivante, on est d'ores et déjà plongés dans cet angoissant et à la fois rassurant sentiment de détresse suggérée par le biais d'une question simple que l'on est toutes et tous en droit de se poser : pourquoi suis-je là ? Pourquoi le monde existe et à quoi je «  sers « ? Car si ces quelques questions demeureront sans nul doute sans véritables réponses, il y a toujours un côté salvateur pour l'être humain de se remettre en question, de chercher à se positionner en tant que spectateur de sa propre vie.

 

Par la suite, les paroles équivoques de la plume de Michel Berger ne laissent planer aucun doute sur le mal-être qu'évoque Daniel au travers de ces nouvelles déclarations :

«  J'ai jamais eu les pieds sur terre. J'aimerais mieux être un oiseau. J'suis mal dans ma peau... «  

Son souhait de se métamorphoser ou se réincarner en volatil est on ne peut plus symbolique : l'oiseauest un des seuls animaux vivants ( avec quelques insectes ) à ne pas être contraints de rester tout le temps les pieds / pattes sur la terre ferme. Bon on pourrait bien sûr évoquer les poissons ou les amphibiens, mais vous saisissez l'idée générale : l'oiseau représente ici la liberté de ne pas de voir se plier au monde qui l'entoure : dès qu'il souhaite prendre l'air, l'oiseau prend son envol afin de détendre son corps, au sens propre comme au figuré, et ne revient que lorsqu'il souhaite à nouveau se poser. Daniel évoque aussi qu'au travers les yeux d'un volatil, il pourra voir le monde à l'envers, voir si il est plus beau vu d'en haut ( ce qui est vrai car les paysages naturels, fort heureusement, prédominent encore sur le reste vu du ciel ), et ainsi il pourrait apercevoir ce qu'il y a de beau et de bon en ce monde et ainsi, revenir ici-bas et mieux appréhender sa place dans l'existence.

 

Le chanteur poursuit sa lutte contre lui-même en expliquant qu'il considère vivre sur une planète parallèle, qu'il n'est pas adapté à ce monde, à l'instar de ces quelques mots : ''J'ai toujours confondu la vie... avec des bandes dessinées...''. 

 

On pourra supputer que l'artiste a conservé son âme d'enfant, cette âme pleine d'espoir en l'humanité, car oui, généralement, beaucoup d'idéologies que l'on possède lorsqu'on est jeunes, et donc friands de BD et autres univers féériques, s'estompent avec le temps. C'est cette innocence d'une jeunesse perdue que semble évoquer Daniel ici car étant enfant, on distingue avec davantage de distinction le bien et le mal, ce qui est juste de ce qui ne l'est pas ou moins, la gentillesse et la méchanceté. Toutes ces notions deviennent plus floues une fois entrés dans le monde des adultes car celui-ci est tout sauf manichéen, tout comme l'être humain adulte qui n'est généralement pas tout noir ou tout blanc. Ce sont ces nuances qui le rendent fascinant mais tout aussi perturbant pour un adulte qui aura grandi psychologiquement de façon transversale, ce qui est le cas du protagoniste qui déclame ce cri de détresse.

 

Lorsque Daniel déclame : «  Au grand loto de l'univers, j'ai pas tiré l'bon numéro. J'suis mal dans ma peau « , il revient une nouvelle fois sur ce décalage qui existe entre sa vision du monde, et celle qu'il perçoit au quotidien, mais aussi l'image qu'il a de lui-même et qu'il semble éprouver des difficultés à affirmer. Il évoquera plus loinune volonté farouche à ne pas devenir un robot en mode «  métro-boulot-dodo «  et on reconnaît bien là la signature du chanteur qui ne mâchait pas ses mots et qui serait certainement monté au créneau aujourd'hui s'il avait été le malheureux témoin des différents combats menés pour le droit des français, ceux du peuple. C'était une parenthèse.

 

Ce qui me plaît tant dans ce texte incroyablement beau, outre cette profonde sincérité de l'artiste qui assume ne pas assumer tel qu'il est, ce qui s'avère être un formidable paradoxe, c'est la poésie et les métaphores qui agrémentent ce texte. L'image de l'oiseau est hautement symbolique et merveilleusement bien pensée, et cette voix magistrale que possède Daniel fait écho avec cette envolée issue d'un autre monde, le sien.

 

Voilà, nous arrivons au terme de ce classement aléatoire des chansons françaises qui ont marqué mon esprit de par leur rapport engagé sur un sujet hautement sensible ou l'émotion qu'elles peuvent (encore) me procurer. Mais dites-moi, et vous, quel est le titre qui vous a le plus marqué ?